
Il y a maintenant 4 ans, dans un café, je jasais avec L.. De tout, de rien, de son passé, de son enfant. De l’enfant, elle me l’a avoué à demi-mot, qu’elle aurait finalement peut-être préféré ne pas voir eu. Cette rencontre m’a embarquée dans une recherche documentaire de trois ans, à travers laquelle j’ai interviewé des dizaines femmes sur leurs sentiments conflictuels face à leur maternité. Car j’aurais aimé savoir quoi dire, comment appuyer adéquatement mon amie dans ce qu’elle vivait.
Il y a peu de tabous aussi persistants en société que celui qui entoure ces mères qui avouent que leur maternité ne ressemble pas à ce qu’elles espéraient. Un forum virtuel pour donner une oreille à ces mères doit fermer régulièrement à cause des nombreuses menaces de mort, et les commentaires en réponse à la thèse Le regret d’être mère de la chercheuse Orna Donath sont souvent d’une cruauté sans nom. Pourtant, il est important de comprendre que ces mères n’abandonneraient ni ne maltraiteraient leur enfant pour autant, mais que c’est bien la maternité même, le quotidien éreintant, le malaise d’être mère, qui cause leur souffrance. L’enfant, lui, est souvent aimé inconditionnellement.
Avec la COVID-19, comme plusieurs autres artistes, Théâtre Déchaînés s’est retrouvé devant le report de ses spectacles à venir en salle. Ayant la chance d’avoir un mandat qui aspire justement à sortir le théâtre de la scène et à impliquer le spectateur où qu’il soit, nous nous sommes laissé inspirer par le Candle House Collective de Chicago, qui offre des pièces de théâtre au téléphone depuis 2018. Nous avons décidé d’explorer cette démarche en focalisant sur les options participatives de l’intimité téléphonique. Tantôt, demain peut-être fût donc notre premier laboratoire d’essai pour nous plonger dans les possibilités narratives et techniques de ce médium. Nous avons décidé de faire du téléphone notre nouveau terrain de jeu - et, 125 représentations plus tard, ce fût un si beau succès que nous récidivons une nouvelle fois - avec une version anglaise qui s’ajoute en plus cette année.
Ce que nous voulons ultimement, ce n’est pas de simplement réciter notre texte dans une oreille, comme pourrait si bien le faire un balado. C’est plutôt d’écouter les réponses, de les recevoir dans toute leur complexité, de les incorporer à l’œuvre. Notre travail se veut et se voudra toujours dans le dialogue, dans cette recherche de l’instantanéité caractéristique des arts vivants, dans une approche où théories du jeu, participation et art se rencontrent.
La pièce étant jouée par une comédienne pour un spectateur, trois actrices se séparent le rôle d’Hélène : Sounia Balha, Émilie Gilbert et Andrée-Anne Giguère. Chaque représentation devient donc une expérience unique, influencée tant par la comédienne que par le spectateur, par leurs impulsions du moment et par leur volonté de se dévoiler. Même hors scène, notre but principal restera toujours le même : offrir une expérience théâtrale qui sort de l’ordinaire, qui a le potentiel d’éveiller notre empathie pour des réalités qui ne sont peut-être pas les nôtres, afin d’amener des changements tangibles dans nos réactions en société.
- Marie Ayotte